27.8.07

C'est beau une ville la nuit 2/2

La suite, la fin :

...
Le rond-point des Champs, ou les quais.
Les quais.

Tiens, c'est vrai, en face, la Tour Eiffel. Son phare illumine le ciel gris. Puis toutes les ampoules se mettent en action, la faisant scintiller de mille feux. Un instant, tu repenses à ces idiots du public qui tout les soirs te font cadeau de quelques sympathiques flash dans la figure.
Toujours agréable.
Surement les mêmes qui applaudissent alors même que l'orchestre ne s’est pas tue.
Incultes. Ignares. Sans-gênes. Moins que rien. Stupides personnages.
Et puis en fait non, tu n'y penses plus, tu te laisses hypnotiser par ces crépitements lumineux.
Plus rien. Trop cher pour durer plus longtemps.
D'un coup ta tête tourne, pas bon de sortir d'hypnose brusquement (les 6 bières y sont peut-être un peu pour quelque chose aussi, non ?), alors tu t'assois.

Tu te relèves.
Les quais.
Non, le Rond-Point.
Les Champs.

Ca te rassure, d'un coup, certains se sont plus lâchés que toi sur la bière. Ou alors ce n’était pas de la bière. En tout cas, ils se sont lâchés.
Ils ont l'air heureux. Tu ferrais bien comme eux, mais smoking, imper et borsalino, en boite... Et puis c'est surement juste un air qu'ils se donnent. Que l'alcool leur donne. C'est bizarre, ça te fait pas cet effet, à toi.

Concorde.
Assemblée Nationale.

Deux plantes vertes, les pauvres... tu les plains, fallait pas tant s'amuser à l'école de police.

Boulevard Saint-Germain.

Pas trop ton chemin. Tant pis. Au point où t'en es. Rue du Bac (lointain souvenir, tiens, le bac).

Boulevard Raspail.
Rue de Rennes.
Odéon.
Boulevard Saint-Michel.

Il faudrait que tu rentres. Il est surement plus de 2h. Ah. Non. 3h. Pas sérieux. Non. Vraiment pas.

Place Saint-Michel.

Tiens de la trompette, au loin. Le Caveau de la Hûchette ? Tu avances. Le son augmente. Une belle mélodie, triste, noire. Tu ne sais pas qui joue, mais il joue... bien.

Il est là, en contrebas, en bord de Seine. Tu hésites. Tu descends. Tu écoutes. C'est beau. Il te faut quelques minutes avant de vaguement distinguer une grande boite noire en retrait.
- Guitare ?
- ...
- Je peux ?
- ...
Ca doit vouloir dire oui. Alors tu la prends. Joues trois notes. Le Ré est faux. Voilà. Tes souvenirs de soirées de lycée reviennent, tu essayes tant bien que mal de suivre la trompette. Ca marche pas trop mal, tu continues. Te lâches un peu. Beaucoup.

Comme elle est triste, cette mélodie. Mais ça te fait du bien. Tu es dans ton monde.
Vous jouez.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.

Un bruit familier. Des voix. Ah, ça y est, tu reconnais. Les éboueurs. Qui commencent leur service à... 5h (Paris s'éveille). Faudrait rentrer, peut-être ? Tu n'as pas envie. Mais bon. Alors tu ranges la guitare, avec regrets.
- Merci.
- ...
Ca doit vouloir dire merci. La mélodie triste continue. Sans toi. Tu marches. Tu es bien.
Tu fais quoi, ce soir ? Ah oui, un concert.



A la prochaine les gens, et n'oubliez pas :
C'est beau une ville la nuit.



Richard Bohringer & Aventures - Ma page blanche





C'est beau une ville la nuit 1/2

Un jour de plus (à peu près), et un nouveau texte. Différent. Avec un titre emprunté à Richard Bohringer, pasque, y a pas à dire, c'est beau une ville la nuit :

PS : Bien sur, si vous trouvez ça mauvais, vous gênez pas pour le dire (So, je t'ai entendu, tais-toi :p), vous avez même le droit d'argumenter.
PS2 : Kyou, t'as vu, du bleu, spécialement pour toi :D


1h du mat', sortie de concert. Enfin, plus précisément, sortie d'après-concert.
Comme chaque fois, tu es allé au café des artistes, boire un verre avec d'autres musiciens. Toujours le même rituel, histoire d'atterrir, sans trop de dégâts. C'est tellement dur de retourner à ta vie quand tu viens de passer deux, trois heures, envouté par l'extraordinaire mélodie que l'orchestre a joué, que tu as joué. Alors tu rejoins les autres, tu bois deux, trois bières, non, quatre ce soir, peut-être même cinq... six ? Pour rester dans l'ambiance, un peu, vaguement... Et tu as rigolé, vous vous êtes racontés vos dernières anecdotes, les dernières frasques du chef Truc, de la sopran... zut, comment elle s'appelait déjà ? Mais si, celle qui faisait la couverture du numéro de Mai du Monde de la musique, à moins que ce soit Diapason... bon enfin vous voyez de qui il parle, hein ! Ah, oui, vous avez ptet remarqué aussi, pendant le concert, la harpiste, elle a cassé une corde !
Non, ils n’ont pas vu. C'est normal en même temps, tu es bien placé, toi, tout au fond. Et puis vous jouez si peu, vous, les percussionnistes. On dit même que vous passez, derrière les instruments, plus de temps cachés à vous marrer plutôt qu'à jouer. Des rumeurs, bien entendu, loin de toi ce genre de pratiques.
En fait, heureusement qu’ils ne savaient pas pour la corde. Sinon t'aurais rien eu à leur raconter.
Et puis voilà, la conversation commence à tourner en rond (ta tête aussi d'ailleurs, vu que t'es venu à toute vitesse au concert, juste en sortant du conservatoire dont le directeur t'a retenu trop longtemps (y a-t-il besoin de le préciser ?) pour pas grand chose, rien dans le ventre du coup) le silence s'installe, petit à petit, tranquillement, vous entoure, à en devenir oppressant. Un premier annonce son départ, bien vite suivi par les autres.
Tu reste, là, seul. T'as envie d'une autre biè... nan, ca serait pas sérieux... Sur l'écran 16/9ème, Eurosport, rediffusion d'un match de foot de 86... Bah, tu n’aimes pas le foot.

Alors donc voilà, 1h du mat', tu te retrouves dans la nuit, franchement noire. Une gentille brise, juste assez glacée pour te faire frissonner, et te convaincre de relever ton imperméable, d'enfoncer un peu plus ton borsalino. Saleté d'hiver taré, ici il fait à peine 0°C, une fichue humidité à te réveiller des rhumatismes. Mais bon, t'en as pas. Dans les stations de ski, ils n’ont pas de neige. Quelle époque.

Et voilà, le noctilien qui te passe sous le nez. Suivant : 27 minutes, tu repars à pied. Ca tombe bien, pas envie de rentrer. Ce qu'il te faudrait, là, tout de suite, maintenant, c'est un autre concert. Retrouver l'euphorie perdue. Ou un rail de coke. Au choix. Le concert, c'est peut-être moins dangereux. Quoique terriblement addictif.

Le thermomètre ne prête visiblement aucun intérêt au fait que tu sois dehors.
Se transformer en glaçon géant dans les 2 minutes qui suivent, ou sinon, marcher.
Lourd dilemme.
Tu marches.
...




La suite, euh... tout de suite.

Richard Bohringer & Aventures - Alcools




26.8.07

Un étrange fruit

Les lumières sont silencieuses.
La salle est baignée d'un halo de silence.
Le pianiste joue le premier accord. Sec. Implacable.
Je chante.
Southern trees bear a strange fruit
Un projecteur s'allume, une ou deux secondes.
Un cri. La scène.
Vision d'horreur. Un arbre, un noir, pendu.
Blood on the leaves and blood at the root
Une sombre ambiance, rouge, sanglante, s'installe autour du pianiste.
Ombre chinoise.
Black body swinging in the Southern breeze
Retour du projecteur blafard.
Aucun bruit cette fois.
Strange fruit hanging from the poplar trees
Derrière le public, halo blanc, éclatant.
J'apparais, le visage noirci. Grimace de douleur.
Pastoral scene of the gallant South
Je descends le long des gradins.
Le temps me semble comme arrêté.
The bulging eyes and the twisted mouth
Ce blanc, glacial, inonde progressivement la scène.
Scent of magnolia sweet and fresh
Là, face au public. Une image en tête.
1939, café society, service interrompu.
Billie Holliday, sur scène, chante.
Strange fruit.
And the sudden smell of burning flesh
Cette vision me terrifie.
J'ai le sentiment de n'être plus qu'un immense bloc de glace.
Here is a fruit for the crows to pluck
Premier rang. Les visages semblent pétrifiés.
For the rain to gather for the wind to suck
La fin de la chanson. Libération. Tout juste la force de finir.
For the sun to rot, for a tree to drop
Avant dernier vers. Ma voix s'effondre.
Doucement.
Here is a strange and bitter crop

Ca y est.

Dernières notes de piano.

Enfin.

Une larme sur ma joue.

Silence total.

Noir intense.

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Le texte de Strange Fruit, traduit :

Les arbres du Sud portent un étrange fruit,
Du sang sur les feuilles, du sang aux racines,
Un corps noir se balançant dans la brise du Sud,
Etrange fruit pendant aux peupliers.

Scène pastorale du "vaillant Sud",

Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Parfum du magnolia doux et frais,
Puis la soudaine odeur de chair brûlée.

Fruit à déchiqueter pour les corbeaux,
Pour la pluie à récolter, pour le vent à assécher,
Pour le soleil à mûrir, pour les arbres à perdre,
Etrange et amère récolte.


Strange Fruit par Billie Holiday





Strange Fruit par Aaron






Entre 1882 et 1930, chaque semaine, un homme, une femme, un enfant, noir, était lynché, massacré par une foule blanche remplie de haine. Pour rien.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Strange_Fruit

Notes bleues, le retour

Presque un an que notes bleues a commencé, et plus ou moins autant qu'il a calé.
Nouveau départ aujourd'hui, donc, et ce coup-ci pour de bon, je l'espère.
Et on attaque tout de suite, avec un premier texte, inspiré d'une chanson que je connaissais depuis bien longtemps par Billie Holliday, et que j'ai découvert de nouveau, reprise par Aaron.
Rendez-vous dans quelques minutes sur le post suivant pour Un étrange fruit...

Bienvenue tout le monde donc :)