...
Le rond-point des Champs, ou les quais.
Les quais.
Tiens, c'est vrai, en face, la Tour Eiffel. Son phare illumine le ciel gris. Puis toutes les ampoules se mettent en action, la faisant scintiller de mille feux. Un instant, tu repenses à ces idiots du public qui tout les soirs te font cadeau de quelques sympathiques flash dans la figure.
Toujours agréable.
Surement les mêmes qui applaudissent alors même que l'orchestre ne s’est pas tue.
Incultes. Ignares. Sans-gênes. Moins que rien. Stupides personnages.
Et puis en fait non, tu n'y penses plus, tu te laisses hypnotiser par ces crépitements lumineux.
Plus rien. Trop cher pour durer plus longtemps.
D'un coup ta tête tourne, pas bon de sortir d'hypnose brusquement (les 6 bières y sont peut-être un peu pour quelque chose aussi, non ?), alors tu t'assois.
Tu te relèves.
Les quais.
Non, le Rond-Point.
Les Champs.
Ca te rassure, d'un coup, certains se sont plus lâchés que toi sur la bière. Ou alors ce n’était pas de la bière. En tout cas, ils se sont lâchés.
Ils ont l'air heureux. Tu ferrais bien comme eux, mais smoking, imper et borsalino, en boite... Et puis c'est surement juste un air qu'ils se donnent. Que l'alcool leur donne. C'est bizarre, ça te fait pas cet effet, à toi.
Concorde.
Assemblée Nationale.
Deux plantes vertes, les pauvres... tu les plains, fallait pas tant s'amuser à l'école de police.
Boulevard Saint-Germain.
Pas trop ton chemin. Tant pis. Au point où t'en es. Rue du Bac (lointain souvenir, tiens, le bac).
Boulevard Raspail.
Rue de Rennes.
Odéon.
Boulevard Saint-Michel.
Il faudrait que tu rentres. Il est surement plus de 2h. Ah. Non. 3h. Pas sérieux. Non. Vraiment pas.
Place Saint-Michel.
Tiens de la trompette, au loin. Le Caveau de la Hûchette ? Tu avances. Le son augmente. Une belle mélodie, triste, noire. Tu ne sais pas qui joue, mais il joue... bien.
Il est là, en contrebas, en bord de Seine. Tu hésites. Tu descends. Tu écoutes. C'est beau. Il te faut quelques minutes avant de vaguement distinguer une grande boite noire en retrait.
- Guitare ?
- ...
- Je peux ?
- ...
Ca doit vouloir dire oui. Alors tu la prends. Joues trois notes. Le Ré est faux. Voilà. Tes souvenirs de soirées de lycée reviennent, tu essayes tant bien que mal de suivre la trompette. Ca marche pas trop mal, tu continues. Te lâches un peu. Beaucoup.
Comme elle est triste, cette mélodie. Mais ça te fait du bien. Tu es dans ton monde.
Vous jouez.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Longtemps.
Un bruit familier. Des voix. Ah, ça y est, tu reconnais. Les éboueurs. Qui commencent leur service à... 5h (Paris s'éveille). Faudrait rentrer, peut-être ? Tu n'as pas envie. Mais bon. Alors tu ranges la guitare, avec regrets.
- Merci.
- ...
Ca doit vouloir dire merci. La mélodie triste continue. Sans toi. Tu marches. Tu es bien.
Tu fais quoi, ce soir ? Ah oui, un concert.
A la prochaine les gens, et n'oubliez pas :
C'est beau une ville la nuit.
Richard Bohringer & Aventures - Ma page blanche